Réaction de Maillard 2


Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas fait un petit article scientifique bien casse-couille.

Pont-à-Mousson

Une petite ville à mi-chemin entre Metz et Nancy située dans la Meurthe et Moselle. Pont-à-Mousson a fait plusieurs dons précieux à l’humanité.

En sidérurgie d’abord, c’est la-bas qu’on fabrique la plupart des plaques d’égouts utilisées dans le monde entier. La prochaine fois que vous croisez une plaque d’égout, regardez, soit il y a écrit “Pont-à-Mousson” dessus, soit c’est “PAM”. C’est dingue non ? Imaginez le nombre de gens qui tomberaient dans les égouts sans le dur labeur des Mussipontains. MERCI LES MUSSIPONTAINS!

VLUU L100, M100 / Samsung L100, M100

En culture aussi, puisque c’est la ville de naissance de Paul Claudon qui a produit les Valseuses (et il en fallait de grosses à l’époque).

Les_Valseuses

Et en cuisine enfin, puisque c’est là qu’a grandi Louis-Camille Maillard et c’est de ce type qu’on va parler dès que j’aurais fini ma promo pour le compte de l’office du tourisme de Pont-à-Mousson. (Et oui ils ont un site pour ça, mais je pense que le webmaster s’est suicidé).

Louis-Camille Maillard

Que nous appellerons désormais Loulou.

Je n'arrive jamais à les distinguer

Je n’arrive jamais à les distinguer

Loulou entreprend des études de chimie à Nancy qu’il complète par une licence de sciences naturelles avant de s’inscrire en médecine (on est en 1896 là). Il mène très rapidement toutes sortes de travaux. Le premier portait par exemple sur l’étude de l’inhibition par les sels de cuivre de la croissance d’un organisme inférieur d’organisation simple, le Penicillium glaucum (la moisissure du Gorgonzola en l’occurence) et il démontre, en modifiant le degré de dissociation ionique du sulfate de cuivre par addition de quantité variables de sulfate de sodium, que ce sont les cations cuivre qui inhibent la croissance. Tout un programme. Cette première étude fera déjà l’objet de publication.

Une fois sa scolarité terminée, il se lance dans sa thèse au nom évocateur : “Recherches sur l’indoxyle urinaire et les couleurs qui en dérivent”.

Un exposé sur les couleurs de la pisse, donc.

Loin d’être anecdotique, il sera en fait, de son vivant, très reconnu sur ces travaux et principalement sur une étude sur les conséquences urinaires d’un défaut de métabolisme hépatique. Il crée un indice d’imperfection uréogénique qu’on appelle alors “coefficient de Maillard”. Tout cela le conduira rapidement à la fonction suprême de “Monsieur Pipi – Suprem Leader”. Titre honorifique qui permet de taxer 10% de toutes les piècettes déposées à Dame Pipi dans les latrines de France et de Navarre. Accessoirement il recevra également le prix Buignet de l’Académie de Médecine. Je n’ai aucune idée de ce que c’est, mais ça doit être cool.

Loulou - la taxe

Louis-Camille Maillard AKA “Loulou la taxe”

A la suite de cela, il entreprend une thèse avec son ancien professeur de Nancy Albin Haller, nommé depuis à la Sorbonne. Cette thèse de 429 pages porte le doux nom évocateur de “Action de la glycérine et des sucres sur les acides /-aminés : cyclo-glycyl-glycines et polypeptides ; mélanoïdines et matières humiques”. Thèse soutenue en 1913.

Albin Haller, en sortie de thèse

Albin Haller, en sortie de thèse

C’est ce travail qui nous intéresse principalement.

Son objectif principal était d’étudier la synthèse de protéines à partir d’acides aminés mais durant ses travaux, il a surtout constaté une réaction générale entre lesdits acides aminés et les sucres.

Pour rappel, dans les organismes vivants comme vous, les poules ou les ténias, les protéines sont des chaînes d’acides aminés qui s’attrapent les uns les autres par le slip. Loulou voulait en savoir plus sur cette réaction, et même la reproduire en laboratoire.

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Formation d’une liaison peptidique (en rouge) entre deux acides aminés, avec élimination d’une molécule d’eau (en bleu). (Merci WIKI)

On sait aujourd’hui que cette réaction de synthèse est possible par un mécanisme enzymatique pas piqué des hannetons. Mais à l’époque, Loulou comptait bien y parvenir par voie chimique.

Il commence donc avec l’acide aminé le plus simple, la glycine (qui produit de superbes fleurs par ailleurs). Et comme tout bon scientifique, il fout la glycine avec de l’alcool dans de l’eau, et il chauffe à 175°C pour voir s’il se passe des trucs rigolos (en chimie on appelle ça plus couramment “la méthode de base”). Point de protéines au terme de l’expérience, mais par contre, il constate que ça sent rudement bon. Il mélange les acides aminés et constate qu’avec de la leucine ça schmeck le cacao et avec de l’alanine et de la glycine, ça sent carrément la noisette grillée.

Acide aminé de glycine agrandi 20 000 fois

Acide aminé de glycine agrandi 20 000 fois

Sans pouvoir rien vérifier, il émettra simplement l’hypothèse que ces réactions se produisent lors de la torréfaction. (On le prouvera plus tard).

Pour se rapprocher du milieu naturel, il décide de remplacer l’alcool par du sucre dans ses expériences et patatra, il constate un brunissement systématique du mélange. Il pousse la recherche et constate qu’il s’agit d’une réaction autocatalytique (= la réaction s’auto-favorise et s’accélère) hyper générale. A chaque fois qu’on a un sucre et un acide aminé (ou une protéine qui possède toujours une fonction amine libre à une de ses extrémités) ça brunit et ça sent bon. La réaction est d’autant plus rapide lorsqu’on diminue la présence d’eau et qu’on élève la température. On appelle cette réaction la “réaction de brunissement non enzymatique” ou plus communément : la réaction de Maillard.

En fait, les acides aminés ne s’assemblent pas en protéines comme espéré mais principalement en amines hétérocycliques. (Il y a aussi d’autres produits en plus petite quantité en fonction du mode de cuisson et de l’aliment comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques ou l’acrylamide).

Bon, pour ceux qui sont encore vivants après tout ça, vous aurez surement compris que cette réaction est absolument omniprésente en cuisine. Milieu chaud, sans eau, avec des protéines qui brunissent… en fait Loulou a expliqué ce qui se passait quand vous mettez un steak dans une poêle. Il a aussi expliqué pourquoi parfois, ça ne se passait pas. Cette réaction et les facteurs qui la favorisent sont à la base de toutes les techniques de cuisson… c’est ce qui explique la différence de goût et d’aspect du même morceau de boeuf que vous cuirez en pot au feu ou à la poêle. Tout simplement.

Sa gloire sur ce sujet ne sera que posthume, mais pourtant les applications sont innombrables. Car c’est cette réaction qui transforme radicalement le goût des aliments. Que ce soit de la viande, de la croûte de pain, du doré d’un rôti, des arômes créés lors de la torrefaction… tout y passe !

Depuis 1979, un symposium consacré à la réaction de Maillard se tient tous les trois ans. Cette réaction omniprésente est difficile à contrôler mais les débouchés en agroalimentaire sont titanesques. Loulou peut en fait être considéré comme l’un des pères fondateurs de la chimie gastronomique. (Avec Lavoisier et Liebig qui ont expliqué scientifiquement la fabrication du bouillon de viande. Liebig, marrant hein ?).

Le baron Justus von Liebig - inventeur de la soupe

Le baron Justus von Liebig – inventeur de la soupe

Bref stylounz, bastounz.

Petite expérience

On n’est pas des chèvres, on va quand même vérifier tout ça.

Pour cette expérience, il vous faut tout simplement une casserole et un ingrédient lambda, j’ai fait ici avec des oeufs.

Chauffez une plaque de cuisson au max. Placez y la casserole avec de l’eau. L’eau a une petite inertie, mais on peut considérer que d’ici 10 minutes maximum, elle sera quasiment à la température de la plaque. Cassez-y l’oeuf. (Parce que si on laisse la coquille on va dire qu’on triche). J’ai laissé cuire 10 minutes. Le thermomètre donne un petit 100°C des familles, l’eau y bout, tout semble plutôt logique.

L'oeuf qui bout

Le 126° c’est la température à partir de laquelle tout se met à gueuler. A gauche, c’est la température de la sonde.

Ensuite, on chauffe la même casserole mais sans eau. Au bout de quelques minutes, (c’est plus court), la casserole sera à la température de la plaque. Si vous voulez vraiment être sûr, laissez le même temps que la casserole d’eau de tout à l’heure. Cassez-y l’oeuf et attendez. (vous avez vu, pour faire vraiment tout pareil je mets même pas de gras, histoire de devoir me casser le cul à gratter pendant une heure).

L'oeuf qui crame

On a donc soumis dans les deux cas le même ingrédient, à la plaque dans les mêmes conditions. Pourtant, sans l’eau je n’ai jamais réussi à atteindre les 100°C… Si vous n’avez pas de thermomètre, plongez la main gauche dans l’eau bouillante, puis posez la main droite dans la casserole chaude, c’est moins précis, mais vous verrez que ça brûle à peu près pareil.

La seule différence est que l’oeuf poché dans l’eau ne présente aucun brunissement. Alors qu’en fonction du temps de cuisson, votre oeuf au plat peut devenir totalement immangeable.

Différence

Différence d’aspect donc, mais aussi complétement de goût. L’oeuf au plat a gagné des goûts de grillé qui sont en fait les arômes de Maillard dont on parlait plus haut. Le même ingrédient, +15°C d’écart pour l’oeuf dur, le même temps de cuisson. La seule différence est la présence ou non d’eau, le résultat est complétement différent et c’est pourtant le plus froid des deux oeufs qui a cramé.

Là, vous allez me dire, OK mais c’est normal, sans eau, ça grille dans tous les cas. Non, cela dépend tout autant de la température. Si on prend l’exemple de tomates séchées au soleil, vous pouvez tout à fait extraire la totalité de l’eau d’un produit et concentrer ses arômes sans en développer de nouveau. Sur ces séchages à basse température (fruits et légumes, viandes ou poissons séchés), la réaction de Maillard ne se produit pas.

De la même façon, si vous exposez un aliment sans acides aminés ou protéines et sucre aux bonnes conditions, la réaction de Maillard n’aura pas lieu. Et selon mes (rapides) recherches, cela signifie que vous êtes un Mange-Pierre échappé de l’Histoire sans fin car aucun aliment humain n’est dénué de ces composants.

Lhistoire-sans-fin-mangepierre

La cuisine des Mange-Pierre est donc – de fait – très peu variée, au mieux une petite soupe de lave.

En bref, pas d’eau et haute température : réaction de Maillard. Eau et/ou basse température : pas de réaction de Maillard, ou très lente.

Ça n’a l’air de rien, mais la maitrise de cette réaction est à la base de toutes les techniques de cuisson depuis l’origine de la cuisine.

Le même morceau cuit à la vapeur ou au four, à la poêle ou bien poché n’aura pas du tout le même goût. La cuisson crée une réaction chimique sur les aliments. Et comme Loulou l’a démontré, c’est une réaction autocatalysée parfois difficile à contrôler. Elle a tendance à s’accélérer. C’est pour ça que si vous oubliez un oeuf sur le plat à une haute température, vous allez récupérer un morceau de charbon car vous aurez transformé toutes les protéines en amines hétérocycliques et autres composants chelous. Ce type de cuisson (poêle, rotisserie, barbecue, torrefaction, pierrade, friture, chalumeau, missile thermonucléaire) nécessite une surveillance de tous les instants. Par contre, vous pouvez oublier votre pot au feu deux jours à la même température, tant qu’il y a de l’eau, vous allez juste dissoudre le collagène (ça sera un autre article) mais rien ne va cramer et le goût ne va pas fondamentalement se modifier, la réaction sera extrêmement lente. Pourtant, c’est bien la même température. Assez fou non ?

La prochaine fois que vous servirez un gigot complétement cramé, ne vous excusez plus bêtement. Lancez tout simplement à vos convives épatés que vous avez mal contrôlé sa réaction de brunissement non enzymatique autocatalysée.

 


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