Aujourd’hui, on va parler d’une des boissons les plus étranges qu’il doit être possible d’acheter. En tout cas perso, je n’arrive pas à trouver pire pour le moment. Mais, promis, j’y travaille dur.
Le Kopi Luwak
Le Kopi Luwak est en fait un café.
Un café indonésien.
Il s’agit du café le plus cher du monde.
Il est récolté dans les excréments d’une civette.
#AMBIANCE
Ingrédients:
- du café Kopi Luwak
- de l’eau douce
Matériel:
- un moulin à café,
- une cafetière
- un compte instagram
Alors avant toute chose, où trouver ce fameux café ?
Soit vous allez en Indonésie, soit vous l’achetez en France chez un torrefacteur un peu aventureux ou directement sur internet. Je l’ai trouvé chez « Verlet Cafés et Thés » dans le 1er arrondissement, 256 rue Saint-Honoré (01 42 60 67 39). Ils livrent également.
Pour un paquet de 250g non moulu comptez 62€, et 70€ avec la livraison. Oui, vous avez bien lu. Un mini paquet de café à 70€. Le prix monte pour les grains ramassés dans la nature. Pour le meilleur Kopi Luwak, cela peut monter jusque 800€/kg. On parle vraiment du café le plus cher du monde.
Il faudrait aussi qu’on discute de la livraison, 8€ pour 250g, c’est livré par George Clooney ??
Petit exercice de comparaison, les capsules les plus chères de Nespresso sont à 40 centimes pour un poid de 5g. Cela fait donc un prix de 80€/kg. Même avec un Kopi Luwak vraiment standard, on est à 4 fois le prix des meilleurs Nespresso qui ne sont pas franchement réputés pour leur prix abordable.
Une fois que vous avez repéré votre café, il vaut mieux l’acheter en grains. Le café perd ses saveurs en quelques minutes lorsqu’il est exposé à l’air. Quand il est moulu, vous perdez donc une très grande partie des arômes dès que le paquet est ouvert. Ce qui est beaucoup plus lent quand vous avez encore les grains entiers. Ça c’est valable pour tous les cafés, pas juste ceux à la merde.
L’odeur est un peu plus douce que celle d’un café habituel. Après, faudrait peut être que je compare avec des cafés à grains à plus de 50€ les 200g pour pouvoir être objectif.
Donc on le moud et on le prépare comme n’importe quel café. Je sais, c’est vraiment une recette bidon mais je viens de déménager et c’était les vacances, alors on va à l’essentiel.
Et voilàààà le résultat. Alors au goût c’est moins amer que du café, ça sent pas mal le chocolat noir. C’est plutôt bon.
Vous allez me dire que je vous charie un peu sur le descriptif des saveurs, mais cela va dépendre pas mal du café. Vous pouvez en effet acheter du robusta, de l’arabica ou même du liberica si vous êtes un peu pointu. En bref, la seule constance c’est que le Kopi Luwak est beaucoup moins amer que le même café non digéré.
La mondialisation et les colons
Alors notre petite civette s’appelle le Luwak (d’où le nom du café, bravo). De nom scientifique Paradoxurus hermaphroditus. Ce qui ne se traduit pas par « Paradoxe hermaphrodite » mais par « Civette Palmiste Hermaphrodite ». Il s’agit d’un genre de la famille des Viverridae qui regroupe les civettes, les binturongs, plus proche de chez nous: les genettes et enfin les linsangs ou poyannes africains que je trouve absolument trop chous et qui devraient intégrer tels quels la franchise Pokémon.
Le Luwak a été baptisé la civette palmiste hermaphrodite car tous les individus ont une petite bourse qui pendouille là où on l’attend. On a donc longtemps cru que tous les individus étaient hermaphrodites à l’instar des escargots ou des Thaïlandais.
Sauf que, révélation choc, le petit sac qui traine sous la queue des mâles et des femelles est en fait une glande odoriférante qui ressemble à s’y méprendre à des testicules. Mais le nom était déjà déposé et les civettes ont eu droit au qualificatif d’hermaphrodite alors qu’elles auraient plutôt mérité un petit « civettes palmistes bien glandées » par exemple.
Comme de nombreux viverridés, ces civettes sont opportunistes et se nourissent de baies, de fruits et à l’occasion de petits animaux tels que les rongeurs, petits reptiles ou oiseaux. Son petit péché mignon ce sont les baies et fruits pulpeux et elle affectionne particulièrement les mangues, les ramboutins (aussi appelés litchis chevelus) et les baies de caféier.
Sauf que notre petit Luwak est originaire d’Asie et que le café est une plante africaine. Sans l’homme la petite graine n’aurait jamais rencontré l’alchimie si particulière de son intestin. C’est au début du XVIIIe siècle que les Néerlandais créent dans leurs colonnies des Indes Orientales (Java et Sumatra) des plantations de café (principalement de l’Arabica importé du Yemen). Et c’est donc à ce moment que nos Luwaks découvraient pour la première fois ces nouvelles baies délicieuses venues de l’océan et qu’ils se sont mis à s’en envoyer de pleines platrées. Je ne vais pas me lancer dans du grand Darwin, mais le fait que cet animal ait intégré le café à son régime alimentaire depuis à peine quelques siècles explique probablement pourquoi son système digestif est incapable d’en digérer les grains.
Revenons à nos Néerlandais… Dans un soucis d’échange, d’amitié entre les peuples et de concorde universelle, les mangeurs de gouda imposèrent le Cultuurstelsel de 1830 à 1870. En néerlandais, cela signifie « système de culture », en Indonésien on a traduit ça par Tanam Paksa qui signifie « culture forcée ». Les ingrats! Bref, tout ça pour dire que ce Cultuurstelsel interdisait à tout autochtone de cueillir ou de consommer du café. Nos gentils indigènes devaient se contenter de se casser le fion dans les plantations et de faire partir tout ça fissa au port d’Amsterdam pour les marins qui boivent.
Mais le perfide indigène a deux grands défauts : la curiosité et le manque d’hygiène. Ayant quand même envie de découvrir le goût du breuvage pour lequel ils bossaient toute la journée – mais sans pour autant violer cette douce loi bienveillante – ils se sont mis à ramasser les grains de café trouvés intacts dans les crottes de Luwak et à s’en faire du café. On imagine que l’anecdote a du faire se bidonner quelques grands propriétaires terriens hollandais et que cela a du égayer plus d’un diner mondain. Il n’empêche qu’au cours d’une soirée d’été particulièrement douce, Jaap, Johannes et Joris terminent l’apéro par un Pierrot le fou endiablé. Et c’est Jaap qui se retrouve forcé (sur un double trois) à aller goûter le café au caca des indigènes.
Sauf que Jaap est bien obligé de reconnaitre que c’est bien meilleur que son café à lui. Et c’est tout à fait normal car quand un grain de café passe environ 35 heures dans un intestin de Luwak, il se passe deux choses assez magiques :
- dans la chaleur et l’humidité d’un gros intestin, les grains de café se mettent à germer. En gros la civette organise un véritable maltage interne des grains, et celui-ci réduit très fortement l’amertume du café ainsi produit.
- les sécretions digestives des luwaks, s’ils ne permettent pas de digérer les grains, s’y infiltrent tout de même. Massimo Marcone de l’Université de Guelph en Ontario a ainsi montré que les enzymes protéolytiques des civettes brisaient de nombreuses protéines du café en acides aminés libres et en peptides. Or si vous êtes des lecteurs assidus, vous savez que ces acides aminés, peptides et protéines sont impliquées dans la réaction de Maillard qui détermine le goût du café après torréfaction.
Curieusement, les colons n’ont pas laissé aux indigènes le monopole de leur découverte et ont aussitôt organisé la collecte des précieux grains (via nos amis les indigènes toujours, pour les responsabiliser un peu et mettre en valeur leurs prises d’initiative) pour en faire un café de luxe destiné à leur consommation personnelle (et très marginalement à l’exportation).
Bref, pas cons les colons (#vannedehautevoltige).
La commercialisation de ce café en Occident a visiblement été lancée par John Martinez de J. Martinez & Co à Atlanta. Une société spécialisée dans le café. M. Martinez s’est même vu décerner un prix IG Nobel en 1985 dans la catégorie « Nutrition ». La même année, Shigeru Watanabe, Junko Sakamoto, et Masumi Wakita, de l’université de Keio ont gagné le prix dans la catégorie « Psychologie » pour avoir appris à des pigeons à distinguer des tableaux de Picasso et de Monet. Du très, très lourd donc.
Le Kopi Luwak a connu un essor important depuis peu et se destine très majoritairement à l’exportation. Il n’est quasiment plus ramassé dans la forêt et les civettes sont mises en batterie et nourries exclusivement de baies de caféiers pour accélérer la production. Ce qui commence d’ailleurs à sérieusement menacer l’espèce qui vient d’être classée en « préoccupation mineure ». Il existe certains produits garantis « caca ramassé dans la forêt » que je vous recommande, même si le prix triple et que vous ne pouvez faire confiance qu’à l’étiquette.
L’Université de Floride (décidément ils sont vraiment chauds sur le sujet les Ricains) a développé un procédé qui permettait d’obtenir un café très proche en goût et sans aucun animal. La licence a été vendue à une entreprise de Gainesville, Coffee Primero. Ce qui leur a permis de distribuer un café très proche à un tarif avoisinant le café classique.
Je suis tombé sur quelques variantes amusantes comme le café Misha au Pérou qui est chié par des Coatis.
Mais aussi le Jacu Bird au Brésil réalisé avec des oiseaux ou encore le Black Ivory qui est carrément issu d’éléphants Thaïlandais (la on parle carrément de révolution industrielle du concept en termes d’échelle). Après tout, si ça marche avec de la civette, faut peut être simplement tester tous les gros intestins. (#DSK)
D’ailleurs on constate que ça part vraiment d’un noble sentiment de la part de cet éleveur d’éléphants : «Ma première idée a concerné la caféine – je me suis demandé si ça allait exciter les éléphants ou s’ils allaient développer une dépendance, affirme John Roberts, directeur de la Golden Triangle Asian Elephant Foundation. Mais on dirait bien que ça ne nuit pas du tout aux éléphants.»
Heureusement que les clous rouillés n’étaient que sa « seconde » idée.
Et puisque nous étions dans les produits de luxe, finissons sur une note d’élégance avec un grand classique (David Lynch).