Suif 6


Du gras, du gras, du gras !!

Le suif est le terme utilisé pour le produit de la fonte de la graisse animale lorsqu’il s’agit de mouton ou de boeuf. D’autres termes existent selon les animaux utilisés, mais la méthode est toujours la même. Lorsqu’il s’agit de cochon, on parle de saindoux, mais il existe également la graisse de canard ou d’oie ou encore l’huile de baleine. On peut en faire de tout est n’importe quoi… Tant que c’est un animal GRAS !

Le plus dur pour en préparer est de trouver la matière première… Vous n’avez jamais remarqué que les bouchers n’ont jamais d’os à moelle ou de gras à vous donner ?La raison est toute simple. La plupart des bouchers en France appartiennent à une secte dénommée l’Amicale du gras. Ces gens se réunissent régulièrement dans les catacombes de Paris et ils s’enfilent tout le gras et tous les os à moelle qu’ils ont refusé à leurs clients fidèles en ricanant et en sacrifiant des enfants au milieu de pentacles tracés au saindoux.

Halte aux amalgames toutefois! Mis à part le fait qu’ils vous empêchent de manger des os à moelle matin, midi et soir, ce sont tout de même des gens de bon goût:

Arrêtons de tout dégraisser. « Il faut apprendre à manger le gras » comme on apprend à faire l’amour en laissant la lumière allumée : avec réticence d’abord, puis à pleine bouche et sans peur, juste parce que c’est bon et que c’est là, tout-de-suite, maintenant. Soyons cochons, touchons, mordons, léchons, et mettons à l’honneur ces poignées d’amour que certains voudraient détruire à la vapeur. – Dixit eux.

Bref, direction votre boucher. Le plus facile à trouver reste le gras de boeuf. Il s’agit soit de chutes qu’il jette lors de la préparation de la viande comme les côtes de boeuf par exemple, soit d’un morceau entier de gras. Un excellent morceau est le gras qui entoure les rognons de veau ou de boeuf. Il est particulièrement pur et extrêmement gouteux. Les Anglais –réputés pour leur goût sûr– l’utilisent comme un beurre clarifié dans la réalisation des pies ou des puddings.

Je vous propose maintenant quelques méthodes qui ont fait leurs preuves pour obtenir ce que vous êtes venus chercher:

Astuce 1, l’intimidation directe. Dire d’un air entendu : “Hey mec, je sais où tu vas vendredi soir avec ton gras, ça serait con que ta femme l’apprenne, hein ?“.

Astuce 2, la corruption.Bonjour, je voudrais deux foies gras label rouge origine Périgord et une côte d’Angus maturé 45 jours pour 5 personnes. Ha au fait, vous n’auriez pas quelques chutes de gras de boeuf et un ou deux os à moelle? Ma petite soeur est en phase terminale d’une leucémie et c’est son plat préféré…“.

Astuce 3, la Force. Avec un peu d’entrainement, votre boucher devrait plier assez vite. “Et voici vos 2kg de gras et vos 8 os à moelle Monsieur. Aaaaaaaaaaand I drop my blaster.”

Méthodes

Il existe 4 méthodes principales, chacune nécessite un matériel particulier et a ses avantages et ses inconvénients. C’est cependant la méthode à l’autocuiseur qui présente les meilleurs résultats.

Méthode sèche:

Cela consiste à débiter le gras en petits morceaux et à le faire revenir directement sur un feu assez doux. Un peu comme si vous faisiez cuire du lard. A la fin, vous récupérez simplement le produit. L’huile ainsi obtenue a un goût fumé très appréciable, cependant cette cuisson agressive la dégrade et elle a tendance à se conserver moins longtemps. Bref, c’est valable si vous êtes une sale feignasse et que vos ressources en gras sont illimitées.

Méthode humide:

Vous avez déjà eu des restes de pot au feu avec une pellicule de suif aggloméré à la surface ? C’est exactement la même chose. Vous plongez le gras dans une large quantité d’eau et vous faites bouillir le tout quelques heures. Laissez ensuite refroidir le récipient et récolter la partie solidifiée en surface. L’avantage est que le gras obtenu est pur et que vous devriez vous être débarassé de toutes les parties protéinées facilement. Par contre, il risque d’y avoir plus de perte qu’avec l’autocuiseur.

Méthode sous vide:

Elle consiste à cuire le gras dans un sachet sous vide à une température supérieure à 80°C puis à en filtrer le contenu. Elle est assez simple, ne nécessite pas d’eau et produit un bon résultat.

Méthode avec autocuiseur:

Il semblerait que ce soit celle-ci qui présente les meilleurs résultats. La pression permet d’atteindre de fortes températures sans agresser le produit et d’en extraire le maximum d’huile ainsi que de saveur. Elle se conserve mieux que les autres et présente une température limite de cuisson supérieure (température à partir de laquelle l’huile noircit). C’est cette technique que nous allons détailler ici.

ingrédients

Ingrédients:

  • Gras
  • Bicarbonate de soude (0,4% du poids de gras total)

Matériel:

  • Autocuiseur
  • Passoire fine/ chinois avec ou sans étamine
  • Mixer

Pesez votre gras. Puis débitez le en morceaux de moyenne taille. Lors de cette phase, essayez de retirer au maximum tout ce qui n’est pas du gras pur: morceaux de muscles, de rognons,veine apparente etc… Ceci afin d’éviter de colorer le suif et d’obtenir un produit de la meilleure pureté possible. Ce sont d’ailleurs ces morceaux qui ne vont pas supporter les hautes montées en température et noircir (réaction de MAILLARD). Cette phase est donc importante pour vous permettre d’obtenir une huile de grande qualité.

découpe

C’est tellement agréable à couper

Passez les cubes de gras au mixer afin qu’il n’y ait plus de gros morceaux. Le but de cette opération est de couper les membranes qui pourraient retenir l’huile lors de la cuisson. Procédez en plusieurs fois car cela a tendance à créer une pâte et certains morceaux peuvent se coller et rester hors de portée des lames.

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Préparer 0,4% du poids du gras en bicarbonate de soude. Cela permet une meilleure homogénéisation de l’huile obtenue. Pour ceux qui se souviennent de leurs cours de chimie, pas de panique vous ne déclencherez pas une réaction de saponification avec du bicarbonate. C’est d’ailleurs pour ça que personne ne cuisine à la soude.

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Dans votre autocuiseur, placer le gras moulu, le bicarbonate, et quelques verres d’eau. L’eau permet d’éviter que le gras ne noircisse lors de la montée en température. Elle va rapidement s’évaporer et maintenir l’ensemble sous pression afin de permettre une fonte rapide des graisses.

La cuisson doit être faite à feu très doux mais sous pression. Je vous mets en garde, l’odeur est particulièrement puissante et âcre, principalement au début. (En vrai ça pue la mort).

Le temps de cuisson est de 4 heures (donc laissez bien la porte de votre chambre ouverte et n’aérez pas).

Si vous n’êtes pas parvenus à hacher le gras suffisamment finement, vous pouvez décompresser la cocotte au bout de quelques heures en versant de l’eau froide dessus et faire quelques tours de mixer plongeant dans la mixture.

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Au terme de cette cuisson, filtrer le produit obtenu afin de ne conserver que la phase liquide. Il faut retenir toutes les membranes ou morceaux de muscles résiduels. Il est possible qu’il reste de l’eau dans le produit, mais elle s’évaporera lors de l’utilisation de votre suif. Sinon, vous pouvez refroidir le produit, percer le gras et sortir la phase liquide qui est principalement constituée d’eau.

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La couleur montre que le produit n’est pas encore pur

A ce stade, c’est l’extase, la totalité de votre cuisine doit glisser comme le plateau d’un Dorcel après un bon gros tournage. Invitez vos amis faire des ventriglisses avant de sortir le Paic citron.

Le produit obtenu est normalement assez clair, mais pas encore parfait. La température de fusion du suif est d’environ 40°C. Cela signifie qu’en dessous de cette température, il va se solidifier en une matière blanche. Plongez votre contenant au bain marie à une température supérieure à 60°C (sinon c’est vraiment long) et laissez reposer. Toutes les parties moins légères comprenant les protéines vont se déposer sur le fonds. Vous pouvez désormais conserver la partie haute, blanche comme neige.

On y est presque

On y est presque, la phase protéinée se dépose au fond, il faut la retirer. 

L’huile obtenu lors du chauffage est d’excellente qualité, transparente comme de l’eau elle ne se colore pas et ne noircit pas. Vous pouvez l’utiliser pour environ 6 bains de friture. A la fin de chaque cuisson, filtrez bien l’huile avant de la conserver et ne conserver que la partie supérieure parfaitement blanche. Le suif rancit au bout d’une grosse semaine, mais se conserve très bien au congélateur. Parfaitement transparent une fois fondu, il colore peu les aliments frits.

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Suif chauffé à 190°C

Petites histoires autour du suif et de la graisse animale

La graisse animale est plus une matière première qu’un aliment en tant que tel. C’est pourquoi elle est bien plus utilisée dans l’industrie que dans la cuisine.

Historiquement, on s’est éclairé pendant des centaines voire des milliers d’années avec de la graisse animale. La graisse végétale était en effet plus difficile à produire et plus précieuse. Je pense que c’était aussi pour le style, finir de lire son chapitre du nouveau testament avant de se coucher avec une douce odeur de bacon de baleine devait pas mal envoyer. Quand on dit chandelle, c’est de la graisse animale. Quand on dit bougie, c’est de la cire. Uniquement pour les nobles bien blindés, donc.

Par la suite, le suif a été massivement utilisé dans l’industrie, principalement comme lubrifiant. Par exemple sur une cale de lancement, les rails sur lesquels glisse la quille sont suifés.

Fun fact: les mécanismes hydromécaniques des ascenseurs de la Tour Eiffel fonctionnent au suif.
Astuce:  Si vous prévoyez de promener des amis végans dans Paris, ne leur passez l’info qu’après deux heures de queue et l’achat des billets en leur montrant du doigt la direction des escaliers et savourez votre victoire en dégustant un saucisson sec dans l’ascenseur. Ca leur apprendra.

On l’utilise également parfois pour étanchéifier les tonneaux de vin. Là encore, probablement pour faire chier les végans.

La dernière industrie qui s’emploie massivement à réinjecter ce bon gras dans nos organismes est celle des cosmétiques. La graisse animale, principalement de boeuf et de porc est utilisée dans les crèmes et dans les savons. Pour les détecter, cherchez les mentions suivantes :

  • INCI : Adeps Bovis -Tallowate- Dirallowate, Tallowamide, Tallow pour le boeuf
  • INCI :, Lard -Lardate pour le cochon

On trouve des savons de grandes marques comme celui-ci:

Meuuuh

TOUT EN DOUCEUR

Mais également des trucs bios comme sur Etsy avec ce baume de couenne de bovidé.

Tallow is very compatible with our cell biology, it is readily absorbed by the skin. Therefore, applying tallow balm does not result in a greasy look or feel. It is taken up by the skin as nourishment and softens the skin quickly.

Et je pense qu’on peut lui faire confiance.

Pour avoir une vraie peau de bébé

Pour avoir une vraie peau de bébé


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6 commentaires sur “Suif

  • Michael

    J’adore la rédaction de ces recettes. J’étais mort de rire, vraiment, en les lisant. Chose qui n’arrive JAMAIS en lisant un blog de cuisine. Le mieux, c’est que les recettes sont loin d’être bidons, jusqu’au boutiste je dirais même (dans le bon sens du terme). J’adore ! Continuez de nous faire rire c’est énorme !

    • Froth Auteur de l’article

      Merci pour ce commentaire extrêmement sympathique qui nous encourage vraiment à continuer sur cette ligne 🙂
      N’hésite pas si tu as des idées de recettes ou d’expériences foireuses. On est toujours très curieux !

  • Eric Mangenot

    Bravo pour ces différentes méthodes, et vôtre humour !
    Je m’en sert en mécanique uniquement et régulièrement. J’aimerais connaître l’astuce pour le conserver longtemps et, l’avoir disponible de suite, comme une boîte de graisse basique….
    Merci d’avance !

  • PIERRE RINGOT

    Je preparais un plum pudding et je me suis retrouvé avec une masse rosatre qui devait remplacer mon beurre habituel. Merci pour ces conseils super precis !
    J’ai obtenu une huile cristalline!
    Je me suis permis de faire tourner l’article sur whatsapp parce qu’il meriterait de figurer lu sur une chronique de radio ou autre. Super marrant, vraiment. Merci encore !