HO HO HO
C’est bientôt les fêtes de fin d’année.
Et qui dit fête de fin d’année dit cadeaux inutiles à outrance (et sans piles), décorations de bon goût, discussions politiques interminables, indigestions à répétition, Gremlins 1 ET 2 sur TF1 et pics d’accidents sur les routes. Bref, de loin la meilleure période de l’année.
Pour aller aux confins de l’exagération, je vous propose cette année une merveilleuse recette qui fait parler d’elle aux États-Unis (notamment pour Thanksgiving) et qui fera le bonheur des petits et des gros.
Turducken
Alors le nom nous vient des trois ingrédients principaux :
TURkey (dinde) + DUCK (canard) + chickEN (poulet) = TURDUCKEN
Le concept est fort ingénieux puisqu’il s’agit de préparer une dinde fourrée avec un canard lui même fourré avec un poulet, en colmatant bien les espaces avec de la farce et le tout braisé au four pendant de longues heures.
Ingrédients :
- une dinde (5kg environ)
- une canette (2,5kg environ)
- un poulet (2kg environ)
- de la farce, ici je l’ai faite avec du maigre et de la gorge de porc
Pour ceux qui s’interrogent, il ne s’agit pas de pousser les volatiles les uns dans les autres. Cela risquerait d’être assez technique et difficilement mangeable. Chaque animal doit être entièrement désossé, et c’est ce qui va principalement vous occuper dans cette recette.
Bon, et pour ceux qui n’aiment pas la viande ou les photos d’animaux morts en général, je vous conseille de reprendre le cours normal de votre journée dès maintenant.
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Commençons par le poulet pour nous faire la main.
On commence sans grande ambition par enlever les ailes au niveau du coude. De façon générale, faites bien attention à enlever le cartilage.
Et pour ceux qui se demandent à quoi ressemble le coude d’un poulet, voici un petit manuel :
Vous pouvez garder toutes les ailes, os et petits morceaux de cette recette pour vous préparer un bouillon de volaille à la fin.
Posez votre poulet sur le dos, et donc ventre en l’air (c’est à dire les blancs). Avec un couteau bien tranchant, longez l’os et libérez un premier plan jusqu’au pied de la carcasse, mais sans abimer la peau ou séparer les deux morceaux.
On recommence de l’autre côté jusqu’à ce que la carcasse soit bien isolée. Il va falloir séparer les os des ailes et des cuisses. Attaquez au niveau des articulations et veillez encore à bien enlever le cartilage.
Maintenant, il s’agit d’enlever tous les os qui restent. D’abord la carcasse en la décollant en la tirant, puis les os des ailes et des cuisses. Un peu plus compliqué, en frottant le long des os de l’intérieur avec la lame du couteau.
Une fois que tout est enlevé, vérifiez bien qu’il ne reste plus aucun cartilage ou os, repliez la petite bêbête et réservez la pour la suite.
Bon, maintenant on s’y remet pour le canard. Tout pareil, on enlève les ailes au coude et on commence à dégager la carcasse.
Séparez les os aux articulations, dégagez toute la chair de la carcasse et retirez la en poussant des cris vikings (pour attendrir la cannette).
Tirez bien doucement en enlevant la carcasse pour éviter de trouer la peau (on voit que j’en ai fait un petit). Trouer la peau du canard ou du poulet n’a aucun impact sur la recette, mais vous êtes là pour vous entrainer pour les choses sérieuses… la dinde. Car là, il faudra être bon !
Enlevez ensuite la totalité des os, il faut les dégager de l’intérieur de la bête puis les tirer pour les enlever.
Remettez bien les papattes et les ai-ailes en place en les poussant dans l’autre sens et refermez votre petit pyjama de canard pour le réserver à côté.
Bon courage, on y est presque. Il reste encore la dinde. Vous n’avez plus droit à l’erreur maintenant.
Ce coup-ci n’enlevez pas les ailes, vous pouvez les garder entièrement.
Dégagez la carcasse comme d’habitude et libérez les articulations.
Et enlevez la carcasse. Il est désormais essentiel de ne pas déchirer la peau de la dinde, car la bestiole doit tout retenir ce coup-ci, donc soyez très prudents et utilisez éventuellement un couteau pour vous aider à la dégager.
Concernant les os qui restent, n’enlevez que l’os des cuisses, laissez les autres pour que votre dinde ait un peu de tenue.
Et voici votre dinde, prête à entamer sa transformation.
Pour fignoler, vous pouvez utiliser une pince pour enlever les éventuelles plumes restantes. Si elles sont petites, on peut aussi s’aider d’un briquet ou d’une allumette. Fonctionne également avec un lance-flamme.
La farce
Rien de bien compliqué, coupez vos morceaux de porc en grossiers morceaux. Ici j’utilise du filet et de la gorge.
Hachez ensuite votre viande et mélanger bien entre le gras et le maigre.
Ajoutez enfin vos herbes (persil ou ciboulette), de l’oignon, de l’ail écrasé, sel, poivre, muscade ainsi qu’une généreuse lampée de cognac ou de whiskey puis massez votre pétrin de protéines.
Maintenant que tout est fin prêt, vous allez pouvoir passer à l’horrible transformation du monstre. Il vous faut tous les animaux préparés, la farce et une bonne surface de travail !
Répartissez une couche de farce sur la dinde ouverte, puis fermez les blancs et déposez le canard déplié. Recommencez d’une couche de farce et déposez le poulet, recommencez enfin avec la dernière couche de farce… ON Y EST PRESQUE !
Il faut ensuite se lancer dans un atelier couture en utilisant du fil et une graaaaaaande aiguille. Commencez par l’un des côtés et remontez doucement. Au début vous allez vraiment trouver ça impossible vu la masse, ne serrez pas trop les fils et piquez large car la peau de la dinde ne tiendra jamais sinon. Resserrez étape par étape les coutures en remontant.
Vers la fin, ça déborde un peu, redressez le volatile pour faire retomber le contenu vers le côté fermé. Ne soyez pas violent, tout peut craquer à tout moment. C’est un peu comme coudre une mine antipersonnelle dans un chicken, dans un duck puis dans un turkey.
Une fois que vous avez fini, resserrez doucement tous les liens et faites vos nœuds.
Vous n’avez plus qu’à mettre le monstre dans son plat et à le huiler généreusement. Pour la cuisson, j’ai favorisé une cuisson lente (moins de 100°C) pendant 6 heures. Sur la dernière demi heure, j’ai mis le grill en laissant la porte entrouverte pour faire griller la peau. Par contre, je ne suis pas parvenu à le retourner (10kg tout de même).
Pendant la cuisson, n’oubliez pas d’arroser le Turducken de son jus, j’utilise aussi une seringue pour lui injecter directement son fluide vital.
Pendant cette longue cuisson, vous pouvez passer tous vos déchets avec quelques carottes, un oignon, deux poireaux et de l’eau pour récupérer un excellent bouillon. Winter’s coming n’oubliez pas d’être prêts.
Et voici le monstre cuit. L’énorme plaisir de le découper c’est que votre lame ne rencontrera jamais le moindre os. Et voici votre mille feuille carné.
Joyeuses fêtes les amis, et n’oubliez pas de surveiller régulièrement votre cholestérol.
Poupées russes
Quand on constate l’exagération totale de cette recette, on se dit qu’il est tout naturel qu’elle nous vienne des États-Unis.
Son origine remontrerait à la fusion des cultures cadiennes, cajuns et créoles et on cite souvent le chef Paul Prudhomme qui l’a présenté au festival Duvall Days en 1983. Cadiens, cajuns, créoles, Paul et Prudhomme, ça fait beaucoup d’occurrences franchouillardes autour du Turducken, et c’est tout naturel car en fait, la recette originelle était bel et bien française.
Elle frappait d’ailleurs beaucoup plus fort puisque la recette historique comprenait 17 volatiles, un anchois et une olive. Difficile à reproduire car de nombreuses espèces sont désormais protégées. Voici ce que ça donne :
Ce pur génie avait sans doute puisé ce plat à tiroirs de ses patronymes à rallonge : Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reynière. Respirez. Ce mec a autant de noms de famille qu’il y a de lettres dans le mien. Du coup, il se dit qu’il vaut mieux avoir également trois prénoms. On n’est pas grand chose hein ?
ABLGDLR nait en 1758 et souffre d’une difformité pas super pratique pour un futur écrivain mangeur puisqu’il est né sans mains. Deux moignons qu’il dissimulait le plus souvent dans des mains artificielles. Cette malformation a surement eu un rôle important dans la construction de sa personnalité car il a toujours eu une petite dent contre ses darons et il s’est fait une véritable spécialité pour chier sur sa famille, son blason, et tout ce qui se rapprochait de près ou de loin des préjugés de castes.
Avant de devenir Docteur es Volailles, Alexandre Balthazar aime pas mal se la donner. Il lance en 1783 une invitation totalement extravagante sous la forme d’un billet d’enterrement. Le souper extraordinaire fait jaser tout Paris et même toute la France car l’assistant de son père reçoit de Nancy des lettres lui demandant si tout ce qu’on raconte sur ledit souper est véridique. Louis XVI lui-même conserve une des invitations sous verre. Tout ça pour quoi ? Faire parler de son dernier livre : « Réflexions philosophiques sur le plaisir. Par un célibataire. » On peut en conclure qu’avec les moyens de l’époque, le petit Grimod avait déjà bien intégré le concept de buzz et que Beigbeder est un tocard (on peut surement le conclure à la fin de n’importe quelle phrase d’ailleurs). Le gueuleton célébrant sa propre mort est donc un succès et Alexandre Balthos multiplie les diners loufoques avec des teuf à thèmes comme le repas archéologique (venez déguisés) ou des diners avec expériences physiques (une sorte de « C’est pas sorcier » avec de la blanquette) ou encore des spectacles d’ombres chinoises. Bref le mec a aussi inventé le concept de BDE.
La Reynière détestait également se faire marcher sur les pieds (/insérer une blague sur l’absence de mains). Un soir qu’il se fait pousser devant l’opéra, il demande « ksé qui donc me pousse et ksé sans doute quelque garçon perruquier » (sans doute une vanne homophobe). M. de Case, militaire, répond alors « C’est moi qui pousse; donne moi ton adresse, j’irai demain te donner un coup de peigne » (peut être aussi une vanne homophobe). Bon alors déjà, qu’on ne nous parle plus de la violence de notre génération quand on voit qu’à l’époque, tu traites un mec de PD dans une file d’attente et ça se finit au magnum sur les Champs Elysées. Et deuxièmement, on constate qu’à l’époque, déjà, il n’y avait que des touristes et des crouilles sur les Champs. Bref 3,000 personnes se rassemblent le lendemain en plein jour, Alex démolit M. de Case (yeux crevés, boîte crânienne explosée) et se fait arrêté. Il est condamné à se mettre au vert à la campagne pendant 2 ans. Quand on entend les électeurs mouvance « Manif pour Tous » hurler contre le laxisme de la justice de Taubira, ça met aussi les choses en perspective sur la sévérité de nos aïeux (en fait, les nobles c’étaient des Thugs).
Bon et là on n’a encore rien dit sur le fait qu’un mec sans main a explosé en duel un militaire de carrière…
Bref, après cette retraite bien méritée. Alexandre ouvre une épicerie à Lyon « Grimod et compagnie ». Bah oui, parce que quand tu te fais arrêter pour meurtre, le mieux c’est de lancer une start-up. Le business va bon train et il lance une vraie franchise. Mais il gère le tout un peu n’importe comment et s’engueule avec son associé (qui est son père d’ailleurs).
Retour à Paris où Alexandre fonde le Censeur Dramatique (critiques théâtrales) et l’Alambic Littéraire. Passons la dessus et intéressons nous plutôt à sa plus grande création : l’Almanach des Gourmands. Ancêtre du guide gastronomique, il se présente comme le « guide dans les moyens de faire excellente chère ». Beau programme.
Il publie également en 1808 le Manuel des Amphitryons, un monument de la littérature gastronomique. Comprenant notamment un traité de dissection des viandes, afin d’instruire le lecteur, qui, s’il ne sait pas découper ou servir les bestiaux, pourrait « être comparé au possesseur d’une belle bibliothèque qui ne saurait lire ».
En parallèle il installe dès 1809 ses jurys dégustateurs au restaurant du Rocher de Cancale. C’est là que ça devient vraiment intéressant puisqu’il invente la critique gastronomique et le label. Tout y passe, restaurateurs, traiteurs, artisans, producteurs, son groupe de dégustateurs s’attèle à tout tester et fait ou défait les réputations.
Les repas sont absolument gargantuesques (Ferreri n’a rien inventé avec la Grande Bouffe). Pour tenir le coup, il milite fermement pour le coup du milieu (un peu comme le trou normand qui marque la pause entre deux services) :
Nos bons aïeux aimaient à boire :
Que pouvons-nous faire de mieux ?
Versez, versez, je me fais gloire
De ressembler à mes aïeux.
Entre le Chablis que j’honore,
Et l’Aï dont je fais mon dieu,
Savez-vous ce que j’aime encore?
C’est le petit coup du milieu.
Je bois quand je me mets à table,
Et le vin m’ouvre l’appétit ;
Bientôt ce nectar délectable
Au dessert m’ouvrira l’esprit.
Si tu veux combler mon ivresse,
Viens, Amour, viens, espiègle dieu,
Pour trinquer avec ma maîtresse
M’apprêter le coup du milieu.
Ce joli coup, chers camarades,
A pris naissance dans les cieux;
Les dieux buvaient force rasades;
Buvaient enfin comme des dieux.
Les déesses, femmes discrètes,
Ne prenaient point goût à ce jeu :
Vénus, pour les mettre en goguettes,
Proposa le coup du milieu.
Aussitôt cet aimable usage
Par l’Amour nous fut apporté
Chez nous son premier avantage
Fut d’apprivoiser la beauté :
Le sexe, a Bacchus moins rebelle,
Lui rend hommage en temps et lien,
Et l’on ne voit pas une belle
Refuser le coup du milieu.
Buvons à la paix, à la gloire ;
Ce plaisir nous est bien permis ;
Doublons les rasades pour boire
A la santé de nos amis.
De Momus, disciples fidèles,
Buvons à Panard, à Chaulieu;
Mais pour la santé de nos belles
Réservons le coup du milieu.
Au jury, on retrouve un peu de tout. Mais globalement: du beau monde. Notamment Jean-Jacques-Régis de Cambacérès. Outre le fait d’avoir un prénom hyper déglingue, JJR était archichancelier de l’Empire. Pour ceux qui sont nuls en histoire mais qui sont allés voir Rogue One, cela correspond à peu près à Grand Moff de l’Empire Galactique. En bref, le jour, il détruit des planètes avec des lasers, la nuit, il teste les meilleures Andouillettes de Coruscant.
JJR aime bien les sociétés secrètes puisqu’en parallèle de ses activités auprès de l’Empereur, il participe au renouveau de la Franc-Maçonnerie en France. Le 13 août 1806 il est installé Chef Suprême du Rite Français et il est Grand Maître du Grand Orient de France de 1806 à 1814.
De nombreuses rumeurs courent sur son homosexualité (et même son attirance vers de jeunes garçons) et on prête notamment deux bons mots à l’Empereur le concernant:
- de Cambacérès aurait été en retard à un rendez vous avec Napo et ce dernier aurait déclaré : « Quand on a rendez-vous avec l’Empereur, on dit à ces dames de prendre leurs cannes et leurs chapeaux et de foutre le camp« .
- de Cambacérès n’arrivant pas à reconnaitre un jeune homme qu’on lui présente devant l’Empereur, ce dernier s’exclame: « Allons, retournez-vous, que son altesse sérénissime vous reconnaisse.«
Bon bah quand on commence un article sur Thanksgiving et qu’on en est à discuter blagues potaches de l’Empereur, c’est sans doute qu’il est temps d’en rester là.
Cette recette est complètement dingue et tellement alléchante ! Waouh… magnifique travail, bravo ! Véritable mille-feuille carné, en effet. Je salive et imagine déguster une belle tranche avec des pommes de terre sarladaises, mmmmh !
De la viande et des pommes de terre… vous savez me parler !
Hey,
Je souhaite te rencontrer et parler de bouffe avec toi. Merci de me répondre.
Féfé.
Salut Felix, pas de problème, je t’envoie un mail.
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