Ce qu’il y a de bien avec la pêche au harpon, c’est que c’est beaucoup plus marrant que d’aller pêcher à la ligne. Ce qu’il y a de chiant avec la pêche au harpon, c’est que c’est pas super facile de remettre les poissons pêchés à l’eau quand on a fini.
Pendant plus de 10 ans, j’ai planché sur le sujet, testant des dizaines de recettes. Mais on se confronte toujours au même problème: c’est fou ce qu’il y a comme arrêtes sur ces petits enfoirés de leurs mamans.
La recette que je vous propose a pas mal d’avantages: elle règle définitivement le problème des arrêtes, elle permet de nourrir une tablée sans trop se prendre la tête, elle évite d’avoir trop de boulot dans la préparation des bestioles, et en plus elle est pas mauvaise. Voire même vraiment bonne. YUMMY !
Ingrédients:
- quelques bons kilos de poissons de roche frais ou congelés (en fonction des performances de votre team de chasseurs). On retrouve pêle-mêle: girelles, sérans écriture, vieilles, chapons ou rascasses, rougets, murène, sars, daurades, gobies, mérous ou petits dauphins. Tout y passe. On appelle ça la méthode “Saupiquet”.
- tomates
- basilic
- fenouil (on a mis du fenouil sauvage ici, il s’agit des grandes tiges avec les fleurs jaunes)
- poireaux
- carottes
- ail
- échalotes
- sel
- poivre
- safran
- eau
On commence par l’étape la plus chiante (si vous ne l’avez pas faite au fur et à mesure de vos captures). On écaille et on vide tout ce joli monde. Au bord de la mer c’est plus sympa, et ça attire les requins marteaux. Il est à préciser qu’il est possible de faire cette recette sans écailler ni même vider. Alors, bon les écailles à la limite (encore que ça bouche les grilles encore plus rapidement), mais sans les vider je trouve ça un peu dur… surtout quand on voit ce qu’on y trouve quand on le fait (li petit crabe, li petite crevette, li bébé poisson, li monstrueux scolopendre marin… ). Outre le goût, ça va quand même lâcher une sacrée quantité de sable… bref moi je les vide et je les écaille. Mais on est dans un pays libre. Il parait que les vrais les vident pas. Les vrais m’ont l’air d’un sacré ramassis de manchots, si vous voulez mon avis.
Pour les légumes, pas très compliqué, on rince tout et on découpe en petits morceaux.
Ensuite, vous faites revenir les échalotes puis les poireaux dans un peu d’huile jusqu’à ce que ça se dore légèrement.
Vous mettez ensuite les légumes et vous laissez suer.
Quand ça commence à frémir, vous mettez vos poissons entiers. Les légumes ont du rendre une belle quantité de jus (OUAAAIS HIIIIN), mais complétez avec de l’eau jusqu’aux derniers poissons. Il faut laisser cuire à feu doux pendant une bonne heure.
Pendant ce temps là, on va se faire un aïoli pas galvaudé.
Alors pendant longtemps, mon aïoli, c’était une base de mayonnaise avec quelques gousses d’ail écrasées, un filet d’huile d’olive et éventuellement un peu de safran. Une espèce de rouille en gros. Et puis j’ai appris qu’on pouvait faire de l’aïoli avec de l’ail. Mais genre uniquement de l’ail et de l’huile. C’est vraiment violent.
L’aïoli des héros.
Il vous faut une pleine tête d’ail et de l’huile.
Vous mettez vos gousses dans un mortier et vous pilez tout ça jusqu’à l’obtention d’une purée bien fine. Au bout de 15 minutes théoriquement, aucun progrès notable n’est à constater dans votre mortier et vous pleurez des larmes de sang. Mais vous vous souvenez qu’en fait vous aviez un blender.
Transférez donc votre ail dans ledit blender et hachez tout cela bien finement en poussant un bouton et en remerciant Stephen Poplawski.
Complétez avec de l’huile. Tout doucement, comme si vous travailliez une mayonnaise en fait. Au début, vous avez une purée un peu épaisse, et puis au bout d’un moment, la magie opère et votre aïoli va prendre comme par magie.
C’est assez impressionnant et le résultat est encore plus dur qu’une mayonnaise. Vous pouvez vous arrêter quand votre cuillère peut tenir plantée dedans.
Autant vous prévenir tout de suite, c’est extrêmement violent. Vous allez puer de la gueule pendant 48 heures. Et vous ne choperez pas de l’été. Mais pas une seule fois. Même une bise, c’est tendu. Pour un résultat moins violent, vous mettez beaucoup plus d’huile et moins d’ail.
Ce petit schéma devrait vous aider à prendre les bonnes décisions l’été prochain:
À la soupe
La dernière étape est la plus fastidieuse, et la moins ragoutante. Mais c’est aussi celle qui permet d’avoir une soupe délicieuse et sans arrête.
La méthode de base consiste à passer au moulin à légumes la totalité de votre faitout en commençant par la grille la plus large.
Au bout d’un moment, il va rester une pâte assez épaisse qui ne passera plus. Elle est constituée de tout ce qui est trop gros pour passer la grille: des écailles, des arrêtes etc… Il faut la jeter. Mais loin. C’est une sorte de gourmandise pour guêpes.
Puis on récupère le contenu passé par le moulin, on passe à une grille plus fine et on recommence.
Lorsque tout est passé par la grille la plus fine, il n’y a plus rien de désagréable dans votre soupe et vous pouvez vous régaler.
Alors le seul problème, c’est que c’est vraiment, vraiment, hyper long.
Une méthode alternative – dite de la “feignasse” – consiste à passer tout au blender grossièrement et à aller directement sur les grilles fines. Attention de ne pas mixer trop longuement au blender, sinon vous allez vous retrouver avec une purée gluante (car vous allez libérez des tensioactifs présents dans les légumes). On cherche juste à broyer tous les morceaux et à sauter une ou deux étapes au moulin…
Et voilà ! Il suffit de garder la soupe sur un feu très doux et de couper du bon pain de campagne que vous pourrez faire griller ou manger frais.
Vous pouvez sinon y mettre des pommes de terre vapeur (fermes) ou l’utiliser comme base pour un plat de poissons comme une bonne bouillabaisse.
Le grand sujet scientifique posé par cette recette concerne tout naturellement la faune méditerranéenne.
Mais nous allons plutôt parler d’aïoli et de mayonnaise, c’est à dire :
Les émulsions
Si vous mettez de l’huile avec de l’eau, vous constaterez assez rapidement que les deux composants ne sont pas miscibles. C’est à dire qu’ils ne se mélangent pas. En fonction de leurs densités ils flottent l’un sur l’autre:
On va essayer d’avancer dans l’ordre… Pourquoi l’eau et l’huile ne se mélangent pas déjà. La densité c’est un peu bidon comme histoire, la preuve, l’eau salée et l’eau douce n’ont pas la même densité, ça ne leur empêche pas de se mélanger.
Regardons les molécules d’eau puis les molécules d’huile.
La molécule d’eau est composé d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogènes. Ça donne ça :
Sauf que tout ce petit monde est gentiment chargé. Mais genre salement chargé. Une charge d’un bon vendredi soir. Les molécules d’hydrogènes présentent une charge positive (beaucoup de vannes, très tactiles) et la molécule d’oxygène, deux charges négatives (on est plus très loin du bad trip, et c’est galère de la gérer). Et comme vous le savez, les charges opposées s’attirent et les charges identiques se repoussent. En l’occurrence avec nos molécules d’eau, chaque atome d’oxygène présente donc deux charges négatives et chaque atome d’hydrogène, une charge positive. Donc l’eau s’organise gaiement en créant des liaisons dites “hydrogènes” :
C’est également parce que ces molécules sont chargées qu’il est possible de mélanger l’eau à d’autres composants. On parle de solutions aqueuses (l’eau) ou solution ioniques. L’eau est alors le solvant et il se forme plein de petites liaisons avec toutes les molécules chargées qu’on balance dans l’eau. Comme du sel par exemple. Le chlorure de sodium qui est une grosse molécule un peu massive va se séparer en plein d’ions chlorure (chargés négativement) et en ions sodium (chargés positivement) et tout le monde va se réorganiser avec les molécules d’eau en fonction des charges de chacun.
Bon et quand toutes les molécules d’eau sont occupées à faire copain copain avec des ions, la solution est saturée et du coup, on a du sel qui reste sous forme solide au fond et qui ne se dissout pas. Vous avez compris le principe.
Bref on récapitule, dans une teuf vous pouvez mettre des gens très différents, tant qu’ils se mettent une charge, tout le monde se mélange et ÇA PART EN TEUF. Sauf qu’il est difficile de tenir la conversation avec trop de personnes en même temps, donc au bout d’un moment, on a du mal à intégrer les nouveaux arrivants qui sont souvent obliger de faire bande à part. C’est clair non ?
Mais alors pourquoi l’huile, elle, ne se mélange pas, que ce soit au début au milieu ou à la fin de la teuf ?
Regardons la molécule d’huile :
C’est une espèce de peigne à trois dents assez long. Ça ressemble à une petite méduse, c’est mignon tout plein. Mais ce qui est surtout important, c’est que la molécule d’huile n’est pas chargée, ni positivement, ni négativement. Elle est complètement sobre, elle tripe ZÉRO. Elle est dite APOLAIRE, ce qui en chimie est synonyme de RAVISSIME.
Et donc les molécules d’huile, bah elles restent entre elles. Entre molécules apolaires. Autrement dit, très très loin du pôle de l’ambiance.
Interview d’une molécule d’huile :
Mais tout n’est pas perdu. Car il existe dans les soirées des ambianceurs de l’extrême qui savent jongler avec les extrêmes et mélanger les groupes les moins miscibles. Ce sont les TENSIO-ACTIFS.
Le tensio-actif, c’est un peu le Wingman idéal. Il est arrivé depuis 18h, et du coup, il a une partie complétement chargée qui peut se mélanger avec tout ce qui est chargé. C’est sa partie hydrophile. Il a fini vainqueur de deux 421 et d’un kinito, il a lancé un grand relais et il parait qu’il veut monter sur le bar pour faire un hélicoptère. Bien joué le tensio-actif, tu fais le taf.
Mais une autre partie de lui n’est pas chargée, elle est apolaire. Il n’a pas oublié que SAM (la molécule d’huile) s’est engagé à le ramener chez lui et à lui filer son canapé ce soir, et le tensio-actif, loin d’être un sale profiteur, sait être reconnaissant. Du coup, il va lui faire passer une bonne soirée à son copain SAM qui a l’air de bien s’emmerder dans son coin à regarder sa montre toutes les 5 minutes, et il va le présenter à toutes les petites molécules bien chargées qui auront le malheur de croiser son regard (sauf les mineures bien entendu).
Du coup, le tensio-actif arrive à lier tout ce joli monde qui paraissait pourtant vraiment incompatible. L’huile va se réorganiser en mini gouttelettes, les queues lipophiles et hydrophobes (apolaires) des tensioactifs vont l’entourer alors que tout autour on aura les têtes polaires et hydrophiles qui se mélangeront à l’eau.
Et c’est ainsi que l’huile et l’eau peuvent s’émulsionner et ne constituer plus qu’une seule phase stable !
Alors ce principe est utilisé par exemple avec le savon. C’est ce qui permet au liquide vaisselle ou au savon d’emporter le gras dans l’eau. Essayez de laver une poêle sans savon, difficile de se débarrasser de tout le saindoux.
Mais c’est également utilisé dans la mayonnaise, ou l’aïoli, les sauces chaudes types béarnaises etc… Vous me direz qu’il n’y a pourtant pas d’eau dans les ingrédients de la mayonnaise ? Mais c’est FAUX. Il y a de l’eau apportée par l’œuf, le vinaigre ou la moutarde. Et ces molécules suffisent à réorganiser les différentes phases pourtant non miscibles. Si vous avez déjà raté une mayonnaise, au bout d’un moment vous voyez bien se déposer au fond jaune d’œuf et moutarde alors que l’huile surnage. Plus les micelles (gouttelettes) seront fines, et plus l’émulsion sera compacte. Plus vous travaillez votre émulsion (soit à la force du poignet, soit avec une aide mécanique) et plus vous cassez les grosses gouttelettes pour en former des petites. C’est la magie de la mayonnaise.
Bon bref, on l’aura compris, le cool de l’histoire c’est le tensio-actif. On l’appelle aussi l’émulsifiant. Alors on en a des bien connus comme la lécithine qui est contenue dans le jaune d’œuf. Il y en a également des parfaitement chimiques que l’industrie agro-alimentaire aime mettre à tour de bras dans ses sauces en pots par exemple (c’est pour ça que leurs vinaigrettes ou leurs pots de mayonnaises ne se séparent jamais en plusieurs phases).
Mais il y en a aussi des moins connus notamment dans certains végétaux comme l’ail. Tout ce qui compte, c’est que l’un de vos ingrédients en rapporte suffisamment pour permettre à l’émulsion de prendre. Par exemple le blanc d’œuf contient énormément de lécithine à l’instar du jaune. Il est tout à fait possible de créer une mayonnaise uniquement à partir de blanc (on parle de mayonnaise allégée ce qui ne manque pas d’audace quand on sait que c’est dans tous les cas quasiment que de l’huile).
Penser a badigeonner le train-disco de tensio-actifs.